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Il n’y a pas de démocratie

« La tradition libérale est antidémocratique », déclare le philosophe Jacques Rancière

« Il y a une contradiction fondamentale entre capitalisme et démocratie », selon Rancière
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L’ironie de l’ironie, c’est « la droite américaine antidémocrate » qui a voulu exporter la démocratie avec l’invasion de l’Irak en 2003, dit Jacques Rancière à CartaCapital à l’occasion du lancement de La haine de la démocratie en portugais du Brésil par Boitempo (Ódio à democracia, 128 pages, R$29,00, 2014). La haine, publié en France en 2005, reste un ouvrage très actuel puisque Rancière, à 74 ans, « brise » –  un mot qu’il utilise souvent –  plusieurs mythes liés à ce que l’on pense être la démocratie. D’abord le concept « peut signifier beaucoup de choses extrêmement diverses et contradictoires ». Voici un autre mythe « cassé » dans La haine : la représentation à travers les élections n’est pas une forme démocratique par laquelle le peuple fait entendre sa voix. En effet, l’alternance entre les partis démocrate et républicain aux États-Unis, ou entre la droite et les socialistes en France, n’est qu’un choix de minorités. Le libéralisme anglo-saxon défendu par ces minorités est antidémocratique puisque l’égalité, ou la possibilité d’égalité, est un principe central de la démocratie. En gros, « la démocratie n’est pas une forme de gouvernement, c’est toujours une puissance qui est en excès par rapport à cette forme de gouvernement ». Rancière, qui a rompu avec son ancien professeur Louis Althusser en Mai 1968, juge crédible les mouvements comme le « Printemps Arabe », les «Indignés », les occupations des usines, etc. Cependant, il déplore que ces mouvements « ne remettent pas en cause la logique globale du système ».

CartaCapital : Vous étiez en conflit avec Althusser en Mai 1968. Était-ce parce que vous voyiez une différence entre théorie et action politique, était-ce parce qu’il croyait au pouvoir du professeur?

Jacques Rancière : Je n’ai pas eu de conflits avec Althusser dans le sens des problèmes d’un élève avec son maître. J’étais frappé en Mai 1968 par le fait que l’insurrection, la grève générale, le mouvement, était en contradiction totale avec ce qu’était la doctrine d’Althusser, la critique de l’idéologie, l’affirmation du primat de la science. Althusser avait vivement critiqué ses étudiants quelques années auparavant en disant qu’ils étaient dans une illogique petite bourgeoise. D’un point de vue Althussérien ce qui s’est donc produit en 1968 n’était rien. Ce n’était autre que de « l’idéologie petite bourgeoise ». Pourtant, ce bouleversement a provoqué la plus grande grève ouvrière de l’histoire française. Par conséquent, j’étais amené à penser qu’au fond il y avait chez Althusser toute une conception pédagogique de l’action politique qui devait dépendre de la science transmise par les personnes qui ont l’autorité pour cela. Donc j’étais témoin de la contradiction entre cette thèse marxiste un peu exacerbée et la réalité des mouvements. Il y a eu un problème effectivement avec tout ce que nous pouvons appeler la version scientiste du marxisme. Fondamentalement c’est un écart en quelque sorte avec la position du maître savant et avec l’idée que c’est la science qui produit le chemin de l’émancipation. Par ailleurs, c’est vrai que je pense qu’il y a un écart considérable entre la science, ou le savoir comme position sociale, et la réalité de ce que nous pouvons savoir. Dire que je suis toujours étudiant ça veut dire précisément que j’ai toujours essayé de dissocier la question du savoir qu’on peut acquérir, de toute position de maitrise institutionnelle.

CC : Dans Le maître ignorant (1987) vous écriviez sur l’égalité des intelligences. Dans La haine vous dites que l’égalité des intelligences dépend de la volonté et de la condition sociale de l’individu. L’égalité, qu’elle soit intellectuelle ou sociale, est un thème central dans votre pensée.

JR : Ce que j’ai dit sur l’égalité est tiré en partie de ma recherche sur l’histoire de l’émancipation ouvrière et de la pensée de l’émancipation intellectuelle, élaborée au XIXème siècle par Joseph Jacotot. Le point central de cette pensée c’est que l’égalité est un point de départ, non un but. Ce qui est important pour moi c’est cette espèce de renversement de positions. Parce qu’au fond toute cette conception pédagogique dont je parle est toujours une conception qui institue l’égalité comme moyen d’une égalité future : le professeur utilise son autorité pour préparer l’élève à l’égalité future, l’avant-garde utilise son pouvoir pour ouvrir le chemin de l’égalité pour le prolétariat, et ainsi de suite. L’émancipation renverse les choses. L’égalité doit être un point de départ. Elle n’est pas une affirmation dogmatique. Il faut partir en quelque sorte de l’idée que l’égalité est une capacité qu’on présuppose au lieu de toujours partir de l’idée de l’inégalité, de l’égalité comme future. L’égalité de l’intelligence n’est donc pas une affirmation. Jacotot nommait cette égalité une présupposition, enfin un principe d’action. Bien sûr il y a des questions sur la capacité intellectuelle mais ce qui est important, c’est justement de briser l’idée que les gens, définis comme socialement inégaux, accèderont plus tard seulement à l’égalité : il y a au fond une possibilité chez les gens qui sont dominés, de tracer eux-mêmes les voies d’une auto-affirmation. Ils peuvent se déclarer eux-mêmes déjà comme les participants d’un monde dans lequel ils sont aussi capables que les autres de penser et d’agir.

CC : Vous êtes un philosophe de formation, vous enseignez et écrivez des ouvrages de philosophie. Mais beaucoup de vos critiques disent ne pas savoir vous catégoriser puisque vous vous intéressez à de nombreux sujets : politique, histoire, cinéma, art, esthétique. Il y a, par exemple, ceux qui vous considèrent comme critique littéraire. Pourquoi les critiques ont-ils ce genre de doute ?

JR : En fonction d’une espèce de division des disciplines qui sont censées correspondre à une division de savoir. Ce que j’ai essayé de remettre en cause c’est justement cette division même des territoires, des disciplines, des compétences. Ils pensent par exemple que le philosophe doit se cantonner à l’être et le non-être. Les problèmes de la société, on les laisse aux sociologues, la littérature on la laisse aux théoriciens ou aux critiques littéraires. Et non, je pense que l’égalité des intelligences ça veut dire que le même individu est capable de penser aussi bien ce qui se passe dans un texte littéraire que dans une situation politique ou dans un film. Ce n’est pas une originalité personnelle. J’appartiens à un monde philosophique qui dans les années 1960 a un peu explosé. Il y avait des gens comme Michel Foucault, par exemple, qui sont complètement sortis du champ habituel de la philosophie pour s’intéresser au monde des hôpitaux, des asiles ou des prisons. J’appartiens, on peut le dire, à cette tradition nouvelle de la philosophie et, évidemment, cet état d’esprit a toujours créé des problèmes avec ceux qui veulent vous identifier. Mais précisément je pense que si la philosophie a un rôle, c’est celui de casser toutes ces identifications, et de mettre en valeur une sorte de capacité intellectuelle qui est commune, à la place de toutes ces rigidités, divisions entre des disciplines et des compétences particulières.

CC : J’ai lu que vous êtes attiré par la politique à partir de la perspective de la littérature. Si cela est vrai, je comprends comment Victor Hugo, lequel vous citez dans La haine, pourrait aider à former une opinion politique. Par contre, Joseph Conrad, que vous aimez, comment peut-il vous inspirer politiquement ?

JR : Non, je n’ai jamais dit que la politique m’attire à partir de la littérature. Ceci dit, il y a une forme de politique qui est propre à la littérature. Et cette forme de politique ne se ramène pas aux visions du monde, aux engagements politiques des écrivains ou à leur manière de représenter la société. Il y a une démocratie littéraire qui n’a rien à voir avec la démocratie politique. Bien sûr, il y a des rapports entre ces deux types de démocraties, mais elles sont différentes. Et pourquoi Conrad ? Parce que Conrad participait à un mouvement par lequel sont passés des gens comme Flaubert, Joyce, Virginia Woolf et d’autres. Ils brisent une forme d’autorité qui était inhérente aux structures narratives traditionnelles. Il y a un lien entre structure narrative et égalité-inégalité. Il y a toute une théorie de l’action fictionnelle qui est nourrie par une hiérarchie du monde. Or ce qui se passe avec la démocratie romanesque moderne c’est que cette espèce de tradition, c’est-à-dire de l’architecture hiérarchique de la fiction, se trouve mise en cause précisément par une espèce d’égalité qui va arriver entre les êtres mais aussi une égalité qui va arriver entre les épisodes de la fiction. Que se passe-t-il à l’époque de Flaubert, par exemple ? Une fille de paysan devient aussi intéressante qu’une grande dame, une vie considérée comme médiocre et répétitive devient le lieu d’un drame. Cela signifie que la structure même des événements fictionnels change. Il n’y a plus de grandes actions. C’est toute une série de petites actions que justement n’importe qui peut faire. Et ça, ça arrive chez Conrad. Si vous pensez à la préface de l’ouvrage «  Le Nègre du Narcisse » (1897), il y a là une capacité en quelque sorte à être héros fictionnel, même au sens négatif. Cette série de petits événements sensibles a permis de renouveler la forme romanesque. Conrad appartient à cette espèce de révolution démocratique du roman, même si par ailleurs il a une position complètement réactionnaire en tant qu’individu : il dénonce les anarchistes et les révolutionnaires. Mais c’est justement ça que je trouve intéressant ; il y a quand même une tension entre une démocratie qui est propre à la forme fictionnelle et aux formes de l’esthétique – et qui a en même temps un rapport distendu, et parfois même contradictoire, avec les formes politiques de la démocratie.

CC : Le mot démocratie, vous dites, « est l’expression d’une haine » depuis le temps de la Grèce quand certains voyaient comme plus crédible le gouvernement de la multitude. Cette forme de gouvernement est aujourd’hui dans les mains d’une oligarchie. La haine continue. Cependant, la violence de cette haine est nouvelle. Vous dites que cette démocratie peut susciter courage et joie. Du courage et de la joie parce que la démocratie formelle pourrait être remplacée par la démocratie réelle marxiste ?

JR : Non. J’ai essayé de sortir de l’opposition marxiste, de sortir des idées comme démocratie formelle, c’est-à-dire d’institutions, et puis de sortir de la démocratie réelle, c’est-à-dire l’égalité à venir qui sera produite par la lutte révolutionnaire. C’est-à-dire que j’ai essayé de dire que la démocratie n’était ni une simple forme gouvernementale, ni un avenir lointain d’égalité réelle entre tout le monde. Non j’ai dit que la démocratie était d’abord une idée extravagante. A savoir l’idée d’un pouvoir propre à ceux qui n’en ont pas. J’ai essayé de dire que paradoxalement ce manque de pouvoir fait qu’il y a de la politique, pas simplement de la politique où il y a des maîtres d’école, des patrons, des éleveurs des troupeaux, et ainsi de suite. On pense toujours à Platon et à l’idéal du gouvernement du roi pasteur. Il y a de la politique parce qu’il y a de la démocratie, parce qu’il y a ce pouvoir paradoxal de gens qui ne sont rien, qui n’ont pas de qualité particulière, pas de titre particulier. Donc il y a démocratie quand ce pouvoir produit des effets. Par exemple dans l’Athènes ancienne lorsque les magistrats sont tirés au sort : n’importe qui peut alors exercer les charges du gouvernement de la cité. Il y a aussi démocratie quand il existe un pouvoir de tous : un pouvoir des  anonymes qui s’affirme comme un excès justement par rapport aux formes constitutionnelles du pouvoir. On peut dire qu’il y a démocratie dans les mouvements récents : Le « Printemps Arabe », Les « Indignés », « Occupy », etc. Dans ces cas-là s’affirme un pouvoir du peuple qui est en excès, qui est autonome par rapport au pouvoir incorporé dans l’État. Ce que j’ai essayé de mettre en lumière c’est que la démocratie n’est pas une forme de gouvernement, c’est toujours une puissance qui est en excès par rapport à cette forme de gouvernement, sans pour autant devoir être renvoyée à un lointain qui sera obtenue  après une révolution qui ne cesse de s’éloigner. Par conséquent, la démocratie réelle est une forme d’action et pas simplement l’avenir d’une égalité économique partagée. Il y en a toujours eu de la démocratie réelle dans les mouvements politiques démocratiques, dans les mouvements insurrectionnels, dans les mouvements des occupations des usines, des universités et des rues et des places, comme c’est toujours le cas aujourd’hui. Dans ces cas de démocratie réelle en tension on peut parler de courage et de joie parce qu’on essaie d’inventer des formes de pouvoir partagé comme l’égalité des intelligences.

CC : Dans La haine, vous faites quand même un portrait-robot un peu moqueur de l’homme altermondialiste : un jeune consommateur devenu imbécile après avoir mangé un peu trop de popcorn, d’avoir pratiqué le safe sex,  d’avoir regardé trop de programmes de Téléréalité, et qui, parmi d’autres choses, a des illusions anticapitalistes…

JR : Le portrait-robot en question n’est pas du tout un portrait que je trace moi. C’est le portrait-robot que tracent les antidémocrates comme le philosophe Alain Finkielkraut, en France. Ils se sont toujours appliqués à ramener tous les mouvements sociaux nouveaux à une forme d’exaltation des jeunes illettrés.

CC : Alors c’est le contraire de ce que vous dites. Peut-être vous étiez trop subtil pour moi (rires).

JR : Oui, c’est le portrait-robot qui correspond à la forme actuelle de la haine de la démocratie selon la perception des antidémocrates. Ces intellectuelles tracent ces portraits-robots pour montrer que toutes les formes d’action, de résistance qui sont en cours aujourd’hui ne sont finalement que des enfantillages. Que ce soit les mouvements violents des émeutiers de banlieue, en 2005 (Clichy-sous-Bois, en région Ile-de-France, et puis dans des nombreuses banlieues), ou que ce soient des mouvements écologiques. Je ne veux pas dire pour autant que j’estime que tous ces mouvements soient positifs. Dans tous les mouvements il peut y avoir des mélanges entre des valeurs contradictoires. Il est clair que dans l’écologie, par exemple, il y a un mélange de pouvoir de tous et en même temps le pouvoir de la science. Dans les émeutes des banlieues il y a une espèce d’affirmation violente d’opposition, mais en même temps elles ne se lient à aucun projet de société. Il y a des tensions, des contradictions et des questions dans ces formes nouvelles d’affirmation égalitaire. Si on prend ce qui s’est passé à Madrid, on a vu beaucoup d’assemblées dans la rue, comme on en avait connu en Mai 1968 en France. Bon, il y a des contradictions, mais dans tout mouvement intéressant il y a des contradictions.

CC : L’association que l’on fait entre démocratie et capitalisme remonte aux Pères fondateurs puis elle gagne en force dans les années 1980 en France?

JR : Il  y a une contradiction fondamentale entre capitalisme et démocratie. Ce qu’on appelle la tradition libérale est en fait largement une tradition antidémocratique. Les Pères fondateurs n’ont pas fondé la démocratie puisque ce qu’ils ont cherché à faire c’était précisément une constitution pour limiter le pouvoir du peuple, à faire en sorte que le pouvoir soit en principe à tous, mais qui soit accaparé en fait par des gens éclairés, instruits. Et dans leur pensée, bien sûr, les gens éclairés et instruits c’étaient des propriétaires capables de gérer leurs propriétés, et donc capables aussi de penser le rôle de la propriété au centre de la société. Il y a toute une tradition libérale liée à une idéologie propriétaire anglo-saxonne qui au fond n’est pas du tout une tradition démocratique, mais qui a réussi en quelque sorte son projet. Son projet c’était justement de soumettre la démocratie, c’est-à-dire le pouvoir de tous. Leur but était la création d’un gouvernement des élites, des riches, et puis de leurs savants, de leurs intellectuelles et de leurs experts. On a fini par appeler ce gouvernement « démocratie », c’est ça le problème. C’est pour ça qu’au fond il existe cette espèce de tension entre l’idée démocratique et ces gouvernements qui s’appellent des démocraties, alors qu’ils sont l’achèvement d’un procès historique pour établir la soumission de la démocratie. Je n’ai pas dit que cette tradition remonte aux années 1980 en France. Ceci dit, dans les années 1980 il y a eu effectivement des mouvements antimarxistes qui déclaraient vouloir  reprendre justement les valeurs de la démocratie libérale.

CC : Selon vous, « nous ne vivons pas dans des démocraties », mais dans des États de droit oligarchiques. Les élections et la représentation sont des mythes. Et si la gauche de la gauche gagne ici en France ou ailleurs?

JR : La gauche de la gauche est une notion un peu ambiguë. La gauche de la gauche est en quelque sorte un appendice de la gauche. On a en France un système global où il y a effectivement toute une classe de politiciens qui se sont appropriés du pouvoir. De droite ou de gauche, ces politiciens appliquent des programmes qui ne sont pas les leurs. Ils sont imposés par des institutions supra-étatiques et/ou financières internationales. Par rapport à cela, bien sûr, il y a des groupes marginaux qui voudraient moins de libéralisme et plus de socialisme. Mais généralement ils n’essaient pas de remettre en cause la structure même dans laquelle la démocratie est soumise. Ces groupes ne repoussent pas les institutions qui sont favorables à la reproduction d’une supposée élite. Ils ne se posent pas la question de ce que c’est qu’une véritable démocratie pour le peuple.

CC : Comment avez-vous perçu l’ascension de l’extrême-droite en Suède, il y a moins de deux semaines (septembre 2014),  et en France il y a plus longtemps ?

JR : La montée de l’extrême-droite en France est une réaction contre l’accaparement du pouvoir par une petite minorité. Le Front Nationale a toujours joué sur le fait qu’il était contre un système où deux partis se partagent indéfiniment le pouvoir et rejettent le peuple en dehors de ce système. On se trompe, je crois, lorsque on lie le succès de l’extrême-droite simplement à la monte du racisme et de la xénophobie, même si une partie de l’extrême-droite est nourrie par ces thèmes. Mais le succès du Front Nationale a d’autres sources comme par exemple le déficit effectif de la démocratie, le faite que la droite et la gauche font la même politique. Et de toute façon ils sont inspirés par la Commission de Bruxelles et par les institutions financières internationales. En même temps, il y a un écart de plus en plus grand entre pouvoir du peuple et réalité de l’exercice du pouvoir d’État. Tout cela a créé un espace dans lequel l’extrême-droite a su se loger. La montée de l’extrême-droite est aussi liée à la faillite historique du marxisme, et en France l’alternative de gauche a cessé d’être crédible.

CC : Cette extrême-droite a gagné beaucoup de votes en opposant les immigrés. Vous citez Hannah Arendt et Burke qui disent que les « droits de l’homme sont vides et tautologiques » parce que l’homme sans appartenance sociale n’a pas de droit. Ce sont les cas des africains et des arabes qui arrivent en Europe. La question devient encore plus compliquée avec la mondialisation…

JR : Il y a un désordre du monde lié à la realpolitik menée par les grandes puissances depuis plus d’un demi-siècle. Je laisse de côté le cas du monde islamique et son développement, qui est un autre vaste sujet. Dans le monde Occidentale dans un sens large il y a des contradictions entre la libre circulation des marchandises et l’entrave à la libre circulation des hommes. La libre circulation des marchandises a créé une espèce de pôle où la richesse s’accumule et où le travail existe. Et puis, nous sommes dans un monde où il y a des zones immenses sans perspective de travail et de vie humainement correcte. Il y a une masse de gens qui est poussée par cette distribution actuelle des richesses qui essaie d’aller où il y a du capital parce que c’est là qu’il y a la possibilité de trouver du travail. Et l’Occident pense que ces gens-là, il faut les filtrer, il faut les renvoyer chez eux. À part ça il y a deux types de problèmes. Il y a les immigrants qu’on bloque, et il y a tous ceux qui sont déjà installés dans nos pays. Ils ont un statut inférieur et sont relégués aux marges de la société. Et là, effectivement, on se pose la question des droits de l’homme. Le résultat, bien sûr, c’est ce côté violent dans les banlieues comme on a vu il y a dix ans en France. Et puis il y a ce sentiment de malaise qui habite aussi bien les immigrés que ceux qui les fréquentent.

CC : Au début de La haine vous dites qu’un journal libéral décrit l’invasion de l’Irak (2003) et la chute de Saddam Hussein comme le commencement d’une démocratie. Beaucoup parmi ceux qui critiquent la démocratie aux États-Unis étaient favorables à cette invasion. C’est un paradoxe, non ?

JR : C’est précisément le fait que démocratie peut signifier des choses extrêmement diverses, y compris contradictoires. La droite américaine pensait que sa démocratie était bonne pour les irakiens. Qu’en l’exportant chez eux, elle règlerait tous les problèmes. Mais comment une droite américaine antidémocratique peut-elle exporter la démocratie ? Évidemment, les américains se sont entièrement trompés. Le résultat était le contraire de ce qu’ils voulaient installer là-bas. Il n’y a pas de paradoxe au fond parce que précisément l’idée que ces gens-là avaient de la démocratie était de toute façon instructive. C’est ce qui ressort de la fameuse déclaration de Donald Rumsfeld quand il y a eu des pillages après la chute de Saddam : la liberté c’est la pagaille, c’est l’anarchie.

CC : Selon vous, la presse en France est libre. Mais vous dites que c’est très difficile  de fonder un journal, surtout de gauche. Il faut suivre cette notion de « neutralité » anglo-saxonne sans laquelle il n’y pas d’annonceurs.

JR : La presse est libre en France aujourd’hui parce qu’on ne met pas les journalistes en prison. Mais on sait a quel point la presse est soumise à travers la publicité.  Ceci dit, il y a aujourd’hui beaucoup de sources d’information : il y a la presse écrite, il y a la presse en ligne, il y a tous les blogs ainsi que tout ce qui circule sur les réseaux sociaux. Il y a une espèce de multiplicité des formes d’information.

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