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L’islamophobie coûte cher

Les souffrances du philosophe Redeker, qui a attaqué Mahomet et le Coran, n’ont pas de fin

A Islamofobia custa caro
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Le philosophe français Robert Redeker vit sous escorte policière depuis 2006. Le 19 septembre 2006, Robert Redeker, dans le quotidien conservateur Le Figaro, dénonce la violence du Coran et de Mahomet . Dans un entretien par e-mail et par téléphone à CartaCapital, le chercheur du renommé Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et membre du comité de rédaction de la revue Les Temps Modernes, fondée par Jean-Paul Sartre, dit qu’il ne peut pas révéler l’endroit où il réside. Il vit caché, condamné sur la chaine de télévision Al-Jazeera par l’imam Youssef al-Qaradawi, depuis sa critique au bellicisme de Mahomet.

Une fatwa, ou une décision judiciaire donnée par un spécialiste de loi islamique, dans ce cas une condamnation à mort, a été prononcée contre Redeker. Sur des sites internet liés au groupe Al-Qaïda commencèrent à circuler des photos ainsi que l’adresse de Redeker. Le chercheur devint alors le nouveau Salman Rushdie. Les services secrets français se sont mobilisés et, depuis six ans, le philosophe change régulièrement de résidence. En mai 2008, Mustapha Dian, qui a menacé de mort Robert Redeker, a été condamné à six mois de prison avec sursis, 750 euros d’amende et 150 euros de dommages et intérêt. Entretien.

CartaCapital: Comment est votre vie quotidienne après le 19 septembre 2006 ? Êtes-vous le Salman Rushdie français ?

Robert Redeker: Je ne sais pas si la comparaison avec Rushdie est exacte. Je suis surtout une sorte de réfugié politique dans mon propre pays. Je vis sous protection policière rapprochée. Tous me déplacements – même les vacances! – sont accompagnés par la police. Je vis dans une semi-clandestinité. D’habitude, ce genre d’existence est réservé aux bandits et aux terroristes poursuivis par la police. Généralement, ce sont les criminels qui se cachent, la police qui les poursuit.  Depuis, je suis passé de l’autre côté de la vie ordinaire. Comme si j’avais traversé un miroir. Je ne peux plus exercer mon métier de professeur de philosophie.

Un réfugié politique menant une vie de clandestin, voilà ce que je suis !  Mon courrier, je vais le récupérer très loin de mon domicile chaque jour. Mes courses, je les fais chez des fournisseurs systématiquement différents dans des villages et banlieues éloignés. Je n’entretiens aucun contact avec les gens du canton où j’ai élu domicile. Les voisins me sont des inconnus dont je ne connais pas même le nom. Pour éviter les salles d’attente – conseil de prudence élémentaire selon la police – le médecin, mis dans la confidence, vient à domicile. Mon épouse vit sous son nom de jeune fille. Je ne peux plus acheter la presse qu’occasionnellement, à la faveur d’un voyage, n’ayant plus de marchand de journaux attitré. Comble de la solitude, je n’ai plus de caviste (de marchand de vin)  – car comme chacun le sait la relation avec un professionnel de cette importance passe nécessairement par des liens personnels. Je n’entretiens plus aucun contact avec des professeurs du secondaire – corporation uniforme auprès de laquelle je passe pour une sorte de monstre. Plus jamais je ne pénètre dans une librairie de crainte d’y être repéré – alors qu’il me plaisait tant à fureter chez Christian Thorel, à Ombres Blanches, ce paradis toulousain qui abrite aussi des livres dignes de l’enfer des bibliothèques, peut-être la plus belle librairie de France.  Comme il est hors de question que j’aille chez le coiffeur me mêler à la foule en y subissant l’interrogatoire qui y attend chaque client, une amie de très longue date se déplace de temps à autre pour me couper les cheveux. Les amis, d’ailleurs, sont devenus rares – « infréquentable », le soupçon est partagé par nombre d’anciens proches. Le désert mord sur mes jours. Sa croissance restreint mon espace – « die Wüste wächst » écrivit Nietzsche dans son Zarathoustra, « le désert croît ». Bref, une forme de désocialisation accompagne ma clandestinité.

CC : Vous travaillez  toujours pour Les Temps Modernes, mais faites-vous votre métier de professeur ?

RR: En effet, je travaille toujours pour la revue Les Temps Modernes. Je suis aussi à la rédaction du journal Marianne. J’écris dans beaucoup d’autres journaux, Le Monde, La Libre Belgique, etc… Ne pouvant plus enseigner, j’ai été muté au Centre National de la Recherche Scientifique, ce qui me permet de travailler seul chez moi, dans mon bunker! J’écris aussi des livres. Le dernier s’appelait «Egobody. La fabrique de l’homme nouveau». Deux autres viendront dans les prochains mois: «L’emprise sportive», une critique du sport, et «L’illusion antiraciste», une critique de l’antiracisme dans la lignée de Taguieff. Je participe aussi à des colloques philosophiques, comme cet automne à Vienne, où j’ai eu l’occasion de rencontrer Chadortt Djavann et Boualem Sansal, et je donne aussi quelques conférences ici ou là, souvent à l’étranger.

CC : Vous aviez déjà écrit un papier pour Le Monde en 2001 qui était similaire à celui du Figaro. Pourquoi celui du Monde n’a pas provoqué les mêmes réactions ?

RR: Entre temps le climat international, géopolitique, s’est durci.  Cela s’est passé dans la foulée des manifestations islamistes contre Benoît XVI après son discours de Ratisbonne. Chadortt Djavann m’a dit: cette fatwa, c’est tombé sur vous, ça aurait pu tomber sur une autre personne. D’autres personnes en effet ont dit ou écrit la même chose que moi et n’ont pas été menacées. Lévi-Strauss, que les Brésiliens connaissent bien, a écrit des phrases très virulentes contre l’islam, mais c’était dans les années 60.

CC : Vous avez critiqué Le Coran, un « livre d’inouïe violence », et Mahomet. Comment réagissez-vous aux gens qui vous traitent de polémiste, un intellectuel qui a « chatouillé la fatwa » ? Vous parlez d’un « obscurantisme politique qui s’est emparé de toute la gauche” dans un entretien à Riposte Laïque…

 RR : L’intimidation islamiste en France, ce pays qui pourtant se vante de sa laïcité, est telle que je n’ai pas eu beaucoup de soutien. Une bonne partie de la gauche et des syndicats se déchaîna contre moi. C’était bien fait pour moi, affirmait-on ! Je l’avais bien cherché ! J’avais provoqué la fatwa, s’écria-t-on ! Le respect pour l’islam est la limite de la liberté de penser, prétendait-on. Autrement dit, la gauche française, qui a toujours été contre la peine de mort, qui a toujours prétendue être la mère et la protectrice de la laïcité, comprenait que je puisse être condamné à mort pour avoir critiqué l’islam. Elle estimait que j’avais commis un crime très grave. Aux yeux de cette gauche – c’est un gouvernement de droite qui a interdit le port du voile islamique dans les classes, pas la gauche qui refusa de légiférer sur ce problème – la laïcité concerne surtout le catholicisme, pas l’islam. Intolérante vis-à-vis du catholicisme, la gauche française est souvent complaisante avec l’islam. Dans les salles des professeurs des lycées, je fus lynché par voie d’affiche. Des professeurs de philosophie écrivirent que j’avais abusé de la liberté. Les syndicats d’enseignants – très puissants en France – ne m’ont pas soutenu. Pourtant quelques mois auparavant ils organisèrent des pétitions et des manifestations pour venir en aide au terroriste italien Cesare Battisti, meurtrier de plusieurs personnes du temps des Brigades Rouges. Mais moi, qui ne suis pas un terroriste, je n’ai pas eu droit au soutien syndical ! Ces syndicats – à l’image d’une bonne partie de la gauche – héroïsent les terroristes, et méprisent leurs victimes. C’est du moins ainsi que je comprends les campagnes menées par les syndicats d’enseignants en faveur de Cesare Battisti et leur refus de m’aider. Toute la corporation m’accusa de plusieurs péchés tenus pour impardonnables chez les professeurs : réactionnaire, pro-américain, pro-israélien et islamophobe. Ces positions idéologiques me rendaient, à leurs yeux, indéfendable. Des associations de gauche organisèrent des débats ici ou là sous le titre “Y’a-t-il une affaire Redeker ? ”, j’en étais l’accusé. Le maire (communiste) de la ville où je travaille me traîna dans la boue. Il est vrai qu’en France les communistes sont proches des islamistes. Comment je réagis? Par le combat intellectuel. Ces gens cherchent à transformer la victime en coupable afin de pouvoir innocenter ces mêmes coupables.

CC : Vos critiques ont été cataloguées par quelques intellectuels comme de l’islamophobie. Mais il a ceux qui défendent l’esprit libre dans une démocratie. Comment expliquez-vous cette France divisée ?

RR: Le mot islamophobie est un mot piégé. Piège diabolique, ce concept, proche acoustiquement de « xénophobie », est autant destiné à effrayer – en évoquant subliminalement la haine, les persécutions, les discriminations – qu’à culpabiliser. Il n’est pas innocent que le vocable d’ « islamophobie » ait  été forgé initialement (dans les années 1970) par des islamistes radicaux s’attaquant aux féministes [1]. La guerre contre les femmes est le berceau de ce terme, misogyne (haine des femmes) et gynophobe (peur des femmes) dès son origine. Kate Millet, célèbre militante du mouvement de l’émancipation féminine, fut violemment insultée, puis traitée d’islamophobe pour avoir incité les iraniennes au refus de porter le voile. C’est à nouveau autour de la question de l’apartheid des femmes – foulard  à l’école, dans des institutions, dans la rue, auto-ségrégation dans des piscines – que se concentre la crispation, et que l’accusation d’islamophobie menace quiconque s’élève contre la tentative d’officialisation de cet apartheid. Dans les années 1990 le terme d’ « islamophobie » a été diffusé plus largement par les islamistes londoniens dans le cadre des campagnes anti-Rushdie. L’écrivain et les défenseurs de la liberté de penser et de publier se trouvaient accusés du crime d’islamophobie tout en étant menacés de mort. Le concept d’  « islamophobie » est originairement une arme forgée par les islamistes qui a pour but d’imposer leur vision totalitaire du monde. Il plonge ses racines dans le plus sordide obscurantisme. Dans la crasse intellectuelle. Ce concept vise également à masquer l’atroce réalité : c’est l’islam et non les islamophobes qui, dans le monde entier, persécutent, en mettant en œuvre la charia. La violence n’est pas le fait de ceux qui sont stigmatisés comme islamophobes mais de ceux qui les stigmatisent. Au départ « islamophobie » était donc un mot de combat – chacun se souvient de la formule du poète révolutionnaire Maïakovski, « les mots sont des balles »! En le réutilisant naïvement, de plus ou moins sincères amis de la liberté se placent sur le terrain de ses adversaires. Je trouve que les intellectuels qui m’accusent d’islamophobie se révèlent, par le vocabulaire qu’ils emploient, complices d’une nouvelle forme de totalitarisme, l’islamisme. Mais ce n’est pas nouveau. Beaucoup d’intellectuels européens, par le passé, ont pactisé avec le fascisme et avec le stalinisme. Il a fallu la lucidité d’un Raymond Aron – dans son livre «L’Opium des Intellectuels » – pour les démasquer.

 CC : Dans un entretien vous dites que la France « regarde son avenir dans un rétroviseur ». Êtes-vous déçu par votre pays ?

RR: La France vit une phase de régression, en se considérant elle-même comme un pays vintage. Elle se drogue aux souvenirs des années 60, chanteurs de variétés ou émissions de télévision de cette époque. C’est une crise de sénilité. Même le film aux 5 oscars, The Artist, participe à cette nostalgie régressive.

CC : Comment voyez-vous le Printemps Arabe ?

RR: Les Européens aiment se bercer d’illusions. En même temps ils sont narcissiques: ils ont cru que les révolutions arabes cherchaient à ressembler à la révolution française, à être des mouvements d’émancipation, de libération. En fait, c’est l’islamisme, c’est à dire le contraire de l’émancipation, qui va triompher. Dans la masse, les peuples arabes (sauf les élites cultivées) ne revendiquaient pas la démocratie à l’européenne, mais l’application rigoureuse du Coran, bref ils revendiquaient la servitude volontaire.  Autrement dit ces révoltes étaient ambiguës mêlant désir de liberté et désir de servitude.

Lire aussi:

 

[1] Caroline Fourest et Fiammetta Venner, Tirs croisés: la laïcité à l’épreuve des intégrismes juif, chrétien et musulman, Paris, Calmann-Lévy, 2003.

Le philosophe français Robert Redeker vit sous escorte policière depuis 2006. Le 19 septembre 2006, Robert Redeker, dans le quotidien conservateur Le Figaro, dénonce la violence du Coran et de Mahomet . Dans un entretien par e-mail et par téléphone à CartaCapital, le chercheur du renommé Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et membre du comité de rédaction de la revue Les Temps Modernes, fondée par Jean-Paul Sartre, dit qu’il ne peut pas révéler l’endroit où il réside. Il vit caché, condamné sur la chaine de télévision Al-Jazeera par l’imam Youssef al-Qaradawi, depuis sa critique au bellicisme de Mahomet.

Une fatwa, ou une décision judiciaire donnée par un spécialiste de loi islamique, dans ce cas une condamnation à mort, a été prononcée contre Redeker. Sur des sites internet liés au groupe Al-Qaïda commencèrent à circuler des photos ainsi que l’adresse de Redeker. Le chercheur devint alors le nouveau Salman Rushdie. Les services secrets français se sont mobilisés et, depuis six ans, le philosophe change régulièrement de résidence. En mai 2008, Mustapha Dian, qui a menacé de mort Robert Redeker, a été condamné à six mois de prison avec sursis, 750 euros d’amende et 150 euros de dommages et intérêt. Entretien.

CartaCapital: Comment est votre vie quotidienne après le 19 septembre 2006 ? Êtes-vous le Salman Rushdie français ?

Robert Redeker: Je ne sais pas si la comparaison avec Rushdie est exacte. Je suis surtout une sorte de réfugié politique dans mon propre pays. Je vis sous protection policière rapprochée. Tous me déplacements – même les vacances! – sont accompagnés par la police. Je vis dans une semi-clandestinité. D’habitude, ce genre d’existence est réservé aux bandits et aux terroristes poursuivis par la police. Généralement, ce sont les criminels qui se cachent, la police qui les poursuit.  Depuis, je suis passé de l’autre côté de la vie ordinaire. Comme si j’avais traversé un miroir. Je ne peux plus exercer mon métier de professeur de philosophie.

Un réfugié politique menant une vie de clandestin, voilà ce que je suis !  Mon courrier, je vais le récupérer très loin de mon domicile chaque jour. Mes courses, je les fais chez des fournisseurs systématiquement différents dans des villages et banlieues éloignés. Je n’entretiens aucun contact avec les gens du canton où j’ai élu domicile. Les voisins me sont des inconnus dont je ne connais pas même le nom. Pour éviter les salles d’attente – conseil de prudence élémentaire selon la police – le médecin, mis dans la confidence, vient à domicile. Mon épouse vit sous son nom de jeune fille. Je ne peux plus acheter la presse qu’occasionnellement, à la faveur d’un voyage, n’ayant plus de marchand de journaux attitré. Comble de la solitude, je n’ai plus de caviste (de marchand de vin)  – car comme chacun le sait la relation avec un professionnel de cette importance passe nécessairement par des liens personnels. Je n’entretiens plus aucun contact avec des professeurs du secondaire – corporation uniforme auprès de laquelle je passe pour une sorte de monstre. Plus jamais je ne pénètre dans une librairie de crainte d’y être repéré – alors qu’il me plaisait tant à fureter chez Christian Thorel, à Ombres Blanches, ce paradis toulousain qui abrite aussi des livres dignes de l’enfer des bibliothèques, peut-être la plus belle librairie de France.  Comme il est hors de question que j’aille chez le coiffeur me mêler à la foule en y subissant l’interrogatoire qui y attend chaque client, une amie de très longue date se déplace de temps à autre pour me couper les cheveux. Les amis, d’ailleurs, sont devenus rares – « infréquentable », le soupçon est partagé par nombre d’anciens proches. Le désert mord sur mes jours. Sa croissance restreint mon espace – « die Wüste wächst » écrivit Nietzsche dans son Zarathoustra, « le désert croît ». Bref, une forme de désocialisation accompagne ma clandestinité.

CC : Vous travaillez  toujours pour Les Temps Modernes, mais faites-vous votre métier de professeur ?

RR: En effet, je travaille toujours pour la revue Les Temps Modernes. Je suis aussi à la rédaction du journal Marianne. J’écris dans beaucoup d’autres journaux, Le Monde, La Libre Belgique, etc… Ne pouvant plus enseigner, j’ai été muté au Centre National de la Recherche Scientifique, ce qui me permet de travailler seul chez moi, dans mon bunker! J’écris aussi des livres. Le dernier s’appelait «Egobody. La fabrique de l’homme nouveau». Deux autres viendront dans les prochains mois: «L’emprise sportive», une critique du sport, et «L’illusion antiraciste», une critique de l’antiracisme dans la lignée de Taguieff. Je participe aussi à des colloques philosophiques, comme cet automne à Vienne, où j’ai eu l’occasion de rencontrer Chadortt Djavann et Boualem Sansal, et je donne aussi quelques conférences ici ou là, souvent à l’étranger.

CC : Vous aviez déjà écrit un papier pour Le Monde en 2001 qui était similaire à celui du Figaro. Pourquoi celui du Monde n’a pas provoqué les mêmes réactions ?

RR: Entre temps le climat international, géopolitique, s’est durci.  Cela s’est passé dans la foulée des manifestations islamistes contre Benoît XVI après son discours de Ratisbonne. Chadortt Djavann m’a dit: cette fatwa, c’est tombé sur vous, ça aurait pu tomber sur une autre personne. D’autres personnes en effet ont dit ou écrit la même chose que moi et n’ont pas été menacées. Lévi-Strauss, que les Brésiliens connaissent bien, a écrit des phrases très virulentes contre l’islam, mais c’était dans les années 60.

CC : Vous avez critiqué Le Coran, un « livre d’inouïe violence », et Mahomet. Comment réagissez-vous aux gens qui vous traitent de polémiste, un intellectuel qui a « chatouillé la fatwa » ? Vous parlez d’un « obscurantisme politique qui s’est emparé de toute la gauche” dans un entretien à Riposte Laïque…

 RR : L’intimidation islamiste en France, ce pays qui pourtant se vante de sa laïcité, est telle que je n’ai pas eu beaucoup de soutien. Une bonne partie de la gauche et des syndicats se déchaîna contre moi. C’était bien fait pour moi, affirmait-on ! Je l’avais bien cherché ! J’avais provoqué la fatwa, s’écria-t-on ! Le respect pour l’islam est la limite de la liberté de penser, prétendait-on. Autrement dit, la gauche française, qui a toujours été contre la peine de mort, qui a toujours prétendue être la mère et la protectrice de la laïcité, comprenait que je puisse être condamné à mort pour avoir critiqué l’islam. Elle estimait que j’avais commis un crime très grave. Aux yeux de cette gauche – c’est un gouvernement de droite qui a interdit le port du voile islamique dans les classes, pas la gauche qui refusa de légiférer sur ce problème – la laïcité concerne surtout le catholicisme, pas l’islam. Intolérante vis-à-vis du catholicisme, la gauche française est souvent complaisante avec l’islam. Dans les salles des professeurs des lycées, je fus lynché par voie d’affiche. Des professeurs de philosophie écrivirent que j’avais abusé de la liberté. Les syndicats d’enseignants – très puissants en France – ne m’ont pas soutenu. Pourtant quelques mois auparavant ils organisèrent des pétitions et des manifestations pour venir en aide au terroriste italien Cesare Battisti, meurtrier de plusieurs personnes du temps des Brigades Rouges. Mais moi, qui ne suis pas un terroriste, je n’ai pas eu droit au soutien syndical ! Ces syndicats – à l’image d’une bonne partie de la gauche – héroïsent les terroristes, et méprisent leurs victimes. C’est du moins ainsi que je comprends les campagnes menées par les syndicats d’enseignants en faveur de Cesare Battisti et leur refus de m’aider. Toute la corporation m’accusa de plusieurs péchés tenus pour impardonnables chez les professeurs : réactionnaire, pro-américain, pro-israélien et islamophobe. Ces positions idéologiques me rendaient, à leurs yeux, indéfendable. Des associations de gauche organisèrent des débats ici ou là sous le titre “Y’a-t-il une affaire Redeker ? ”, j’en étais l’accusé. Le maire (communiste) de la ville où je travaille me traîna dans la boue. Il est vrai qu’en France les communistes sont proches des islamistes. Comment je réagis? Par le combat intellectuel. Ces gens cherchent à transformer la victime en coupable afin de pouvoir innocenter ces mêmes coupables.

CC : Vos critiques ont été cataloguées par quelques intellectuels comme de l’islamophobie. Mais il a ceux qui défendent l’esprit libre dans une démocratie. Comment expliquez-vous cette France divisée ?

RR: Le mot islamophobie est un mot piégé. Piège diabolique, ce concept, proche acoustiquement de « xénophobie », est autant destiné à effrayer – en évoquant subliminalement la haine, les persécutions, les discriminations – qu’à culpabiliser. Il n’est pas innocent que le vocable d’ « islamophobie » ait  été forgé initialement (dans les années 1970) par des islamistes radicaux s’attaquant aux féministes [1]. La guerre contre les femmes est le berceau de ce terme, misogyne (haine des femmes) et gynophobe (peur des femmes) dès son origine. Kate Millet, célèbre militante du mouvement de l’émancipation féminine, fut violemment insultée, puis traitée d’islamophobe pour avoir incité les iraniennes au refus de porter le voile. C’est à nouveau autour de la question de l’apartheid des femmes – foulard  à l’école, dans des institutions, dans la rue, auto-ségrégation dans des piscines – que se concentre la crispation, et que l’accusation d’islamophobie menace quiconque s’élève contre la tentative d’officialisation de cet apartheid. Dans les années 1990 le terme d’ « islamophobie » a été diffusé plus largement par les islamistes londoniens dans le cadre des campagnes anti-Rushdie. L’écrivain et les défenseurs de la liberté de penser et de publier se trouvaient accusés du crime d’islamophobie tout en étant menacés de mort. Le concept d’  « islamophobie » est originairement une arme forgée par les islamistes qui a pour but d’imposer leur vision totalitaire du monde. Il plonge ses racines dans le plus sordide obscurantisme. Dans la crasse intellectuelle. Ce concept vise également à masquer l’atroce réalité : c’est l’islam et non les islamophobes qui, dans le monde entier, persécutent, en mettant en œuvre la charia. La violence n’est pas le fait de ceux qui sont stigmatisés comme islamophobes mais de ceux qui les stigmatisent. Au départ « islamophobie » était donc un mot de combat – chacun se souvient de la formule du poète révolutionnaire Maïakovski, « les mots sont des balles »! En le réutilisant naïvement, de plus ou moins sincères amis de la liberté se placent sur le terrain de ses adversaires. Je trouve que les intellectuels qui m’accusent d’islamophobie se révèlent, par le vocabulaire qu’ils emploient, complices d’une nouvelle forme de totalitarisme, l’islamisme. Mais ce n’est pas nouveau. Beaucoup d’intellectuels européens, par le passé, ont pactisé avec le fascisme et avec le stalinisme. Il a fallu la lucidité d’un Raymond Aron – dans son livre «L’Opium des Intellectuels » – pour les démasquer.

 CC : Dans un entretien vous dites que la France « regarde son avenir dans un rétroviseur ». Êtes-vous déçu par votre pays ?

RR: La France vit une phase de régression, en se considérant elle-même comme un pays vintage. Elle se drogue aux souvenirs des années 60, chanteurs de variétés ou émissions de télévision de cette époque. C’est une crise de sénilité. Même le film aux 5 oscars, The Artist, participe à cette nostalgie régressive.

CC : Comment voyez-vous le Printemps Arabe ?

RR: Les Européens aiment se bercer d’illusions. En même temps ils sont narcissiques: ils ont cru que les révolutions arabes cherchaient à ressembler à la révolution française, à être des mouvements d’émancipation, de libération. En fait, c’est l’islamisme, c’est à dire le contraire de l’émancipation, qui va triompher. Dans la masse, les peuples arabes (sauf les élites cultivées) ne revendiquaient pas la démocratie à l’européenne, mais l’application rigoureuse du Coran, bref ils revendiquaient la servitude volontaire.  Autrement dit ces révoltes étaient ambiguës mêlant désir de liberté et désir de servitude.

Lire aussi:

 

[1] Caroline Fourest et Fiammetta Venner, Tirs croisés: la laïcité à l’épreuve des intégrismes juif, chrétien et musulman, Paris, Calmann-Lévy, 2003.

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